Une attaque de pirate d’un navire battant pavillon luxembourgeois: comment mieux prévenir ces incidents?

Monsieur le Président,

Conformément à l’article 83 du règlement de la Chambre des Députés, je vous prie de bien vouloir transmettre la question parlementaire suivante à Monsieur le Ministre de l’Économie.

Le 14 mars 2021, le navire Bourbon Evolution 802 battant pavillon luxembourgeois a fait l’objet d’une attaque de pirate dans les eaux internationales au large du Nigéria. L’équipage du navire a immédiatement donné l’alerte et s’est réfugié, conformément aux procédures de sûreté, dans la « citadelle » renforcée, espace permettant d’assurer l’intégrité physique du personnel lors d’une telle attaque.

Deux navires de patrouille en opération dans la région ont pu intervenir rapidement et mettre en fuite la dizaine de pirates, permettant ainsi à l’équipage de sortir sain et sauf de l’incident.

Dès lors, j’aimerais poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre de l’Économie :

  • Depuis la création du pavillon maritime luxembourgeois il y a trente ans, combien de fois les autorités luxembourgeoises ont été informées d’une attaque de pirate visant un navire battant pavillon luxembourgeois ?
  • Quelles sont les routes maritimes qui font l’objet d’attaques de pirate de manière récurrente ? Les navires battant pavillon luxembourgeois y circulent-ils fréquemment ?
  • Le Commissariat aux affaires maritimes émet-il des recommandations actualisées à l’attention des navires battant pavillon luxembourgeois pour prévenir au mieux ces attaques ?
  • Quelles possibilités de légitime défense les navires battant pavillon luxembourgeois ont-ils à leur disposition à l’heure actuelle ?
  • Selon quels critères le Commissariat aux affaires maritimes respectivement la cellule de la gestion du risque (CGDR) sous l’autorité du Haut-Commissaire à la Protection Nationale décident-ils d’un changement du niveau de sûreté du navire battant pavillon luxembourgeois ? Quel niveau de sûreté le navire Bourbon Evolution 802 avait-il au moment de l’attaque ?
  • Est-ce que Monsieur le Ministre est d’avis que le projet de loi n°7706 – qui mettra en œuvre les exigences du chapitre XI-2 de la Convention SOLAS – est susceptible d’apporter davantage de sûreté en faveur des différents équipages des navires battant pavillon luxembourgeois  ?

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Lydia Mutsch

Députée

Réponse de Monsieur le Ministre de l’Économie, Franz Fayot

Depuis la création du pavillon maritime luxembourgeois il y a trente ans, combien de fois les
autorités luxembourgeoises ont été informées d’une attaque de pirate visant un navire
battant pavillon luxembourgeois ?

La première attaque d’un navire battant pavillon luxembourgeois par des pirates maritimes a
eu lieu en juillet 2010. Elle a été suivie par neuf autres actes de pirateries ou de vols à main
armée.
Il y a eu deux attaques en 2010, une en 2012, 3 en 2013 et une par année en 2014, 2016, 2018
et 2021.

Quelles sont les routes maritimes qui font l’objet d’attaques de pirate de manière récurrente ?
Les navires battant pavillon luxembourgeois y circulent-ils fréquemment ?

La majeure partie des attaques (6) ont eu lieu dans le Golfe de Guinée par des pirates très
probablement d’origine nigériane. Trois autres, deux abordages avec vol d’argent et d’effets
personnels et une tentative déjouée, se sont produites dans la région du détroit de Malacca
entre l’Indonésie et la Malaisie. Un vol à main armée a été enregistrée dans l’enceinte du port
de Freetown au Sierra Leone.
Le Golfe de Guinée constitue la zone la plus dangereuse au monde en matière de piraterie.
En 2020 il y a eu 82 attaques (sur un total de 195 dans le monde) dans cette région. Les pirates
y sont très violents et se spécialisent dans les kidnappings de membres d’équipage avec
demande de rançon, ou dans le détournement de navires citernes avec vol de produits
pétroliers vendus par après au marché noir.
Le Golfe de Guinée est une région richement pétrolifère, et toutes les grandes sociétés
pétrolières mondiales y sont présentes. Elles ont été rejointes par un réseau étendu de sous-traitants, de fournisseurs et autres entreprises liées. Deux de nos armateurs en font partie et sont présents en permanence avec des navires sous pavillon luxembourgeois. Deux autres y retournent plus ou moins régulièrement.
Les mesures de sureté et de défense contre la piraterie mises en place par le Nigéria et les
pays voisins restent insuffisantes et les autorités nigérianes refusent d’autoriser la protection
des navires par des gardes armés privés embarqués dans les eaux de Zone Economique
Exclusive (ZEE) située entre 12 et 200 miles nautiques des côtes. Or, c’est bien cette mesure
qui, conjointement avec des opérations d’unités militaires internationales, a mis fin à la
piraterie dans la région de la Corne de l’Afrique et du Golfe d’ Aden (Somalie) où il n’y a pas
eu la moindre attaque en 2020. L’autre zone à risque est le détroit de Malacca en Asie du Sud-Est avec 66 attaques en 2020.
Celles-ci sont toutefois moins violentes que dans le Golfe de Guinée. Typiquement, les pirates
montent à bord des navires par la menace armée (armes à feu et tranchantes) et ils
s’emparent de la caisse du capitaine et des objets de valeurs qu’ils trouvent sur les marins ou
dans les cabines. Ils repartent ensuite rapidement.
Il s’agit ici d’une zone de très forte circulation maritime et les États côtiers y sont tous très
actifs dans le combat de la piraterie. Ce qui explique aussi le fait que les pirates ne perdent
pas de temps à bord des navires qu’ils attaquent. Les navires qui font les allers-retours
Europe-Asie sont pratiquement obligés de passer dans cette région, Singapour étant un des
ports le plus visités dans le monde.

Le Commissariat aux affaires maritimes émet-il des recommandations actualisées à
l’attention des navires battant pavillon luxembourgeois pour prévenir au mieux ces attaques ?

Le Commissariat aux affaires maritimes (CAM) a émis une série de circulaires informant les
armateurs sur les régions à risque et les procédures à y suivre. Le Code ISPS de la convention
SOLAS (Safety of Life at Sea) prévoit par ailleurs trois niveaux de sureté qui sont appliqués aux
navires:
– Niveau 1 : mesures de sûreté minimales maintenues en permanence;
– Niveau 2 : mesures additionnelles à maintenir pendant une période déterminée en raison d’un risque accru;
– Niveau 3 : nouvelles mesures à maintenir pendant une période limitée – un
incident est probable ou imminent.
Il fauter noter que les niveaux 2 et 3 doivent être limités dans le temps car une activité
opérationnelle du navire est difficile au niveau 2 et quasiment impossible au niveau 3.
Par ailleurs, le CAM transmet de façon systématique les messages d’alerte liés aux menaces
de pirates émises par diverses organisations internationales (NATO shipping Center,
International Bureau of Shipping, … ) ou par d’autres registres maritimes.

Quelles possibilités de légitime défense les navires battant pavillon luxembourgeois ont-ils à
leur disposition à l’heure actuelle ?

L’option d’armer les marins ou de leur permettre d’amener leurs armes privées à bord d’un
navire est formellement exclue par l’organisation Maritime Internationale.
Devant la flambée d’attaques de pirates en 2008, 2009 et 2010, l’IMO a publié des lignes
directrices encadrant l’utilisation de sociétés de protection privées plaçant des équipes de
gardes armés à bord des navires. L’organisation a laissé à l’État de pavillon la liberté de définir
le cadre légal approprié pour cette option. Au Luxembourg ce cadre a été défini par le CAM
en collaboration étroite avec le ministère de la Justice. Des gardes armés employés par des
sociétés autorisées ont le droit de faire recours à la légitime défense selon un scénario bien défini dans les « Rules of Use of Force » (RUF) respectant notamment la proportionnalité entre la riposte et la menace.

Selon quels critères le Commissariat aux affaires maritimes respectivement la cellule de la
gestion du risque (CGDR) sous l’autorité du Haut-Commissaire à la Protection Nationale
décident-ils d’un changement du niveau de sûreté du navire battant pavillon luxembourgeois ?
Quel niveau de sûreté le navire Bourbon Evolution 802 avait-il au moment de l’attaque ?

Un changement de niveau de sureté peut être initiée par le Haut-Commissaire à la Protection
Nationale ou par le Commissaire de Gouvernement aux affaires maritimes sur base de
renseignements ou d’informations reçus du secteur ou de la part d’organisations
internationales. Il devra être ensuite validé au niveau de la CGDR.
Le BOURBON EVOLUTION 802 était au niveau 1 décrit ci-dessus.

Est-ce que Monsieur le Ministre est d’avis que le projet de loi n°7706 – qui mettra en œuvre
les exigences du chapitre Xl-2 de la Convention SOLAS – est susceptible d’apporter davantage
de sûreté en faveur des différents équipages des navires battant pavillon luxembourgeois ?

Les mesures de sûreté à prendre à bord sont déterminées par les armateurs en application
des conventions internationales de l’OMI. Le projet de loi n°7706 se limite à clarifier la mise
en œuvre des obligations de l’État luxembourgeois en tant qu’État du pavillon et à augmenter
les sanctions pénales applicables. Ainsi, le Commissaire aux affaires maritimes est compétent
pour effectuer des inspections ou pour déléguer ces dernières à des organismes expérimentés
en matière de sûreté maritime. Ces inspections sont régies par le droit international.
Le projet de loi n°7706 revêt un caractère administratif et organisationnel relatif à la
réalisation des inspections et de la certification des navires. En ce qui concerne les sanctions
pénales, celles-ci sont revues afin de renforcer leur effet dissuasif alors qu’aucune
augmentation des seuils n’avait eu lieu depuis l’entrée en vigueur de la loi maritime.
Néanmoins, il faut souligner que jusqu’à présent aucune poursuite n’a été entreprise à
l’encontre des compagnies maritimes pour manquement à leurs obligations en matière de
sûreté maritime.
A noter également qu’en 2010, le Luxembourg a ratifié et mis en œuvre la Convention SUA
de 1988 (Convention for the Suppression of Unlawful Acts of Violence Against Safety of
Maritime Navigation) ainsi que son Protocole de 1988 (Protocol for the Suppression of
Unlawful Acts Against the Safety of Fixed Platforms Located on the Continental Shelf).

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